Il semble que personne ne sait comment fonctionne une anesthésie et ce qui altère nos états de conscience. Si le patient paraît endormi et incapable de ressentir de la souffrance, il est difficile d'en être certain, comme il est difficile de savoir ce qu'il est en train de vivre ou bien même s'il est en train de vivre quelque chose. Personne ne sait non plus d'où peuvent bien provenir ces « souvenirs ».

Dans les mois qui suivirent l'opération, des centaines de scènes qui pour les autres n'avaient jamais existées ont constitué pour moi des souvenirs bien vivants et bien réels d'évènements que j'avais effectivement « vécus ». Je prenais plaisir à les raconter, à remémorer les sentiments intimes qui leur étaient associés et à revoir certains des paysages grandioses que j'avais visités sous narcose. Une « étrangeté » curieuse se dégageait de l'évocation de ces scènes, comme si j'avais quelque chose d'important à y comprendre, quelque chose qui me fuyait, quelque chose que je ne pouvais mettre en mots, mais qui me hantait continûment.

Couleur : le violet lourd et parfois l'orange un peu terni

Musique : lourde, légère et ancienne, parfois symphonique

Sentiment : admiration et amour, indignation, reconnaissance

Odeur : tabac, café, vanille, eau de rose.

Je prenais plaisir à analyser ce qu'avaient été mes réactions lorsque je pouvais en passant d'une scène à l'autre sauter de la vie à la mort. De la souffrance à la contemplation. De la douleur à la paix.

Il m'a fallu ces cinq mois pour « reconstruire » mon corps qui s'était littéralement désagrégé et que je ne reconnaissais plus comme mien. Cinq mois pour remettre les choses en place, m'en refaire une image cohérente.