De 1946 à 1953, le Cambodge se libère de la tutelle française. Il présente alors au monde un visage presque intact, paisible et souriant, qu'aucune guerre de décolonisation n'a terni. La société cambodgienne retrouve sa structure féodale, à peine écornée par le protectorat. C'est du côté des antagonismes opposant les premières générations scolarisées, qui attendent une modernisation morale et politique du pays, au reste de la population, qu'il faut chercher les premières traces d'un malaise généralisé, et d'une détérioration progressive du climat social et politique. Le déclin d'une économie prometteuse et la montée de la violence, dès la fin des années soixante, laissent la porte ouverte au régime khmer rouge, à ses horreurs, à la perte radicale de sens qui le caractérise : saccages des espaces ruraux millénaires, emprisonnements des paysans, prises d'otages, déportations massives, tortures systématiques, massacres collectifs... jusqu'à ces charniers dont le décompte n'est pas terminé. L'analyse rigoureuse de la société cambodgienne et l'examen sans complaisance du comportement des leaders politiques khmers, jettent une lumière crue sur le destin de ce peuple. Le dépouillement des documents contemporains, des archives, et les témoignages directs révèlent, en effet, une certaine continuité de la politique cambodgienne - depuis l'ère sihanoukienne jusqu'à l'occupation vietnamienne, en passant par la république et le régime khmer rouge - et montrent comment les règles sociales ancestrales ont servi la propagande des dirigeants successifs. Si le dénouement de l'imbroglio cambodgien dépend des pays voisins et des grandes puissances, une solution internationale ne signifie pas forcément la paix...